Les pensées qui m'envahissent 17

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DU CULTE DU PHALLUS CHEZ LES ROMAINS

 extrait de Jacques-Antoine DULAURE

 


 

Ce peuple,  qui, toujours vainqueur par ses armes, fut à la fin vaincu par ses vices ; qui, s’élevant au plus haut degré de puissance, ne tomba qu’avec plus d’éclat ; ces Romains si fiers, si turbulents, si dominateurs surent-ils se défendre contre des superstitions ridicules,  qui dégradent l’homme et le ramènent vers la barbarie ? Non. Leur faiblesse et leur aveugle crédulité, leur soumission absolue à leurs prêtres, forment, avec leur courage et leur caractère indépendant et impérieux, un contraste frappant.  Quelques nuances dans la couleur des entrailles des victimes, le vol d’un oiseau dirigé d’un certain côté, des poulets qui mangeaient peu ou qui ne mangeaient pas, et mille autres puérilités, suffisaient pour jeter l’effroi dans l’âme de ces grands hommes, pour arrêter une armée prête à livrer bataille, changer de grandes résolutions, suspendre des entreprises importantes et régler les destinées de l’empire. Ces fiers conquérants du monde tremblaient devant un misérable devin. 

Les Romains durent être assujettis à tout ce que les cultes avaient de plus absurde. Ils enrichirent même leur religion de toutes les superstitions des peuples qu’ils avaient vaincus. Les Étrusques, les Égyptiens, les Grecs, les Perses, les Thraces, les Phrygiens, les Phéniciens, les Gaulois  fournirent leur contingent. Tout était saint, tout était dieu pour les Romains. Aussi l’histoire n’offre-t-elle point de peuple qui se soit asservi à un aussi grand nombre de superstitions, ni qui ait rendu honneur à un plus grand nombre de divinités. La cité seule de Rome contenait plus de dieux que d’habitants, quoique le nombre de ces derniers se montât à plusieurs millions.

Ainsi, le culte du Phallus et de Priape ne devait pas y être oublié. Cette divinité y fut longtemps en grande considération.

Clément d’Alexandrie va nous apprendre comment et par qui ce culte fut introduit chez les Romains.

« Ce furent des Corybantes qui, comme le dit Héraclite, apportèrent le culte du Phallus et de Bacchus en Italie. Ces Corybantes, aussi nommés Cabires, annonçaient au peuple la mort des dieux Cabires. Ils s’étaient rendus coupables de deux fratricides, lorsqu’ils enlevèrent la cite (ou corbeille sacrée dans laquelle était placé le Phallus de Bacchus). Ils la transportèrent en Étrurie, où ils firent valoir cette belle marchandise ; et comme ils étaient chassés de leur pays, ils fixèrent leur demeure chez les Étrusques, prêchèrent leur vénérable doctrine, et recommandèrent à ces peuples d’adorer le Phallus et la corbeille sacrée. »

Les Étrusques, voisins des Romains, leur communiquèrent bientôt cette nouvelle institution, ainsi que les cérémonies et pratiques religieuses qui en dépendaient.

L’époque de l’introduction de ce culte en Italie ne paraît pas remonter très haut. Les Romains ne connaissaient point, du temps de leurs rois, le culte de Vénus. Celui de Bacchus et de Priape devait y être également ignoré ; toutes les divinités grecques et orientales n’existaient point du temps de Numa.

Les Romains désignaient assez généralement Bacchus sous le nom de Liber ou de Pater liber, de même qu’ils donnaient souvent à Vénus le nom de Libera. On croit que cette dénomination lui venait de la liberté qui régnait dans ses fêtes ; on dit que le soleil portait ce nom chez les Indiens.

Les fêtes de ce dieu-soleil avaient, chez les Romains, deux noms qui répondaient à ceux de Bacchus et de Liber : les Bacchanales et les Libérales. La fête des Libérales avait lieu le 17 mars, six jours après l’époque où les Grecs célébraient en l’honneur du même dieu leurs Dionysiaques, et, trois jours avant celle où les Égyptiens fêtaient Osiris et son Phallus, dans la solennité des Pamylies.

Le Phallus figurait avec distinction dans la fête des Libérales. Les Romains nommèrent ce simulacre de la virilité Mutinus. C’était ce symbole indécent, dit saint Augustin, que l’on vénérait, non en secret, mais très publiquement ; que l’on transportait pompeusement, pendant les Libérales, sur un char, dans les carrefours et dans les villes.

Le même saint cite Varron, qui nous apprend qu’à Lavinium, la fête du dieu Liber durait un mois, pendant lequel on se livrait à la joie, à la licence, à la débauche ; les chansons lascives, les discours les plus libres répondaient aux actions. Un char magnifique portait un énorme Phallus, et s’avançait lentement jusqu’au milieu de la place publique. Là, se faisait une station, et l’on voyait alors la mère de famille la plus respectable de la ville, venir placer une couronne de fleurs sur cette figure obscène.

Plein d’indignation pour cet usage, saint Augustin s’écrie, en nous instruisant des motifs de cette cérémonie : « Ainsi, pour apaiser le dieu Liber, pour obtenir une récolte abondante, pour éloigner des champs les maléfices, une femme vénérable est obligée de faire en public ce qu’elle ne devrait pas permettre sur le théâtre à une prostituée ! »

« De quelle honte, de quelle confusion, dit-il ailleurs, ne devrait pas être saisi le mari de cette femme si, par hasard, il était présent à ce couronnements! »

Quelques jours après, dans les derniers de mars et le 1er  avril, on célébrait la fête de Vénus ; et cette divinité était à Rome, comme en Grèce, en Syrie, en Égypte, associée au simulacre de la virilité.

Les dames romaines, pendant cette fête, montaient en cérémonie au mont Quirinal, où était la chapelle du Phallus, s’emparaient de cet objet sacré, et le portaient en procession jusqu’au temple de Vénus Érycine, situé hors de la porte Colline. Arrivées dans le temple de la mère des amours, ces dames plaçaient elles-mêmes le Phallus dans le sein de Vénus.

Une pierre antique vient à notre secours, et nous donne l’explication de cette cérémonie. C’est une cornaline gravée, qui représente la pompe phallique. Un char triomphal porte une espèce d’autel, sur lequel repose le Phallus, d’une grandeur colossale. Un génie s’élève au-dessus du simulacre et tient sur lui une couronne suspendue. Le char, ainsi que la figure du génie, sont entièrement abrités par un dais ou vaste draperie carrée, soutenue aux quatre coins par des piques, dont chacune est portée par une femme à demi nue. Ce char est traîné par des boucs et des taureaux, sur lesquels sont montés des enfants ailés. II est précédé par un groupe de femmes sonnant de la trompette. Plus avant, et en face du char, est une forme caractéristique du sexe féminin, représentant le Sinus veneris. Cette forme, proportionnée au Phallus élevé sur le char, est maintenue par deux génies qui semblent indiquer au Phallus la place qu’il doit occuper..

Cette cérémonie terminée, les dames romaines reconduisaient dévotement le Phallus dans sa chapelle, qui devint célèbre, dans la suite, par l’édifice que fit élever dans le voisinage l’empereur Héliogabale, où il établit un sénat de femmes, chargées de décider sur des questions de galanteries et de débauches ; et ces assemblées se tenaient à l’occasion de la fête du Phallus.

Les fêtes d’automne, consacrées à Bacchus, étaient appelées Bacchanales ; elles duraient depuis le 23 jusqu’au 29 octobre. On y voyait à peu près toutes les cérémonies pratiquées par les Grecs dans leurs Dionysiaques.

Lors des premiers temps de cette institution à Rome, les femmes seules présidaient à cette solennité ; les hommes y furent admis ensuite, et les mystères nocturnes de Bacchus dégénérèrent en débauches. Outre tous les excès du libertinage, on y commettait même des assassinats, des empoisonnements. Les initiés formaient une grande portion de la population de Rome ; l’ordre public était menacé, et le sénat, l’an 564 de la fondation de cette ville, abolit les Bacchanales. Mais dans la suite, du temps des empereurs, elles reparurent avec une licence égale à celle des Dionysiaques de la Grèce.

Le Phallus isolé était, chez les Romains, nommé Mutinus ou Tutinus. Lorsqu’il était adhérent aux Hermès ou Termes, on le nommait Priape. Sous l’une et l’autre formes, cet objet sacré, ou cette divinité, était considérée comme présidant à la fécondité des femmes, à la vigueur des époux, et comme capable de détourner les charmes nuisibles à l’acte du mariage, à la grossesse des épouses.

En conséquence de ces vertus supposées, les jeunes épousées, avant d’être livrées aux embrassements de leurs maris, étaient religieusement conduites par leurs parents vers l’idole de Priape ; et, la tête couverte d’un voile, elles s’asseyaient sur la forme très saillante que présentait cette figure. Un certain contact suffisait sans doute pour rendre la cérémonie complète, assurer la fécondité et neutraliser les enchantements.

« C’est une coutume considérée comme très honnête et très religieuse, dit saint Augustin, parmi les dames romaines, d’obliger les jeunes mariées de venir s’asseoir sur la masculinité monstrueuse et surabondante de Priape »

« Parlerai-je de ce Mutunus, dit Lactance, sur l’extrémité duquel les nouvelles mariées viennent s’asseoir, afin que le dieu paraisse avoir le premier reçu le sacrifice de leur pudeur ? »

Lactance, par ces derniers mots, semble rappeler ce que pratiquent les jeunes épousées dans quelques contrées de l’Inde, où le dieu de bois ou de fer opère entièrement le sacrifice. On croirait que la formalité remplie par les jeunes femmes romaines auprès de cet objet sacré, n’était qu’une modification, un diminutif de l’usage indien.

Les femmes mariées se soumettaient aussi à cette pratique, sans doute afin de détruire le charme qui les maintenait dans un état de stérilité ; mais, plus aguerries que les jeunes épousées, leur dévotion s’étendait plus loin.

« Ne conduisez-vous pas, même avec empressement, dit Arnobe aux maris, vos femmes auprès de Tutunus ? et, pour détruire de prétendus ensorcellements, ne les faites-vous pas enjamber l’horrible et immense Phallus de cette idole ? »

Il faut avouer qu’il n’y a pas loin de cette dernière pratique à celle qu’observent certaines filles ou femmes de l’Inde, dont j’ai parlé.

Une figure du dieu Tutunus ou Mutinus fut découverte à Rome, sur le mont Viminal, dans les décombres d’un ancien temple ; on la voit encore aujourd’hui dans cette ville ; elle est de marbre blanc et haute d’environ trois palmes.

Mais un groupe antique, dont Meursius a donné la gravure, nous présente l’image fidèle de cette cérémonie superstitieuse. Ce groupe, qui se trouve dans la galerie de Florence, offre une femme debout, dont la tête, entièrement couverte par une espèce de bonnet, présente une forme peu naturelle. Ses mains qui descendent plus bas que les hanches, semblent soutenir ses vêtements relevés, et laisser à découvert une partie de son corps. Un énorme Phallus s’élève de terre jusqu’à la partie sexuelle de cette figure qui, grandement caractérisée, parait être en contact avec l’extrémité supérieure du Phallus.

Le Phallus, appelé par les Romains Mutinus ou Tutunus, recevait encore d’autres hommages. On se prosternait dévotement devant lui, on lui adressait des prières. « Parce que nous n’adressons point nos prières à Mutunus et à Tutunus, dit Arnobe, et que nous ne nous prosternons pas jusqu’à terre devant leurs idoles, ne semble-t-il pas, à vous entendre, que de grandes calamités vont fondre sur nous et que l’ordre de la nature en sera subverti? »

La chapelle de Mutinus et de Tutunus était située, suivant Festus, dans le quartier de Rome appelé Vélie, et dans l’endroit où sont les thermes de Domitien. Sous Auguste, cette chapelle étant détruite fut rétablie à quelque distance de la ville.

On rendait, dit Festus, à ces idoles, un culte religieux et saint, et les femmes romaines venaient, la tête voilée, leur offrir des sacrifices. »

Considéré comme une amulette, comme un fétiche portatif, le Phallus recevait le nom de fascinum, et était d’un usage très fréquent chez les Romains. Ils ne connaissaient point de préservatif plus puissant contre les charmes, les malheurs et les regards funestes de l’envie. C’était ordinairement une petite figure du Phallus en ronde-bosse, de différente matière ; quelquefois, c’était une médaille qui portait l’image du Phallus. On les pendait au cou des enfants et même ailleurs. On les plaçait sur la porte des maisons et des édifices publics : Les empereurs, au rapport de Pline, en mettaient au-devant de leurs chars de triomphe. Les vestales, lorsqu’on célébrait des sacrifices à Rome, leur rendaient un culte.

On varia à l’infini les formes de ces amulettes ithyphalliques : les unes présentaient le Phallus combiné avec le mullos ou la figure du sexe féminin. Les cabinets d’antiquités et celui de la Bibliothèque impériale en contiennent plusieurs de cette espèce. Les autres présentent un Phallus simple, mais muni de deux ailes et de deux pattes d’oiseaux, et quelquefois de sonnettes. Cette dernière particularité rappelle l’usage antique de représenter quelquefois la figure du dieu Priape tenant une sonnette à la main, et l’usage moderne des moines indiens, qui parcourent tout nus les rues de l’Inde, et appellent au bruit d’une sonnette les dévotes qui viennent baiser l’image vivante du Phallus.

D’autres amulettes ithyphalliques ont la forme d’un chien couché, ou des cuisses et des jambes humaines ployées et sans corps. Les plus décents offrent la figure d’une main fermée et dont le pouce est placé entre les deux doigts qui le suivent. C’est cette figure que les antiquaires nomment main ithyphallique.

Ces espèces d’amulettes sont encore en usage dans le royaume de Naples.

Il y eut des fascinum doubles et triples ou figurés par deux et trois branches partant du même centre. Les triples Phallus étaient fort en usage dans l’antiquité. On a vu que Plutarque nous dit que dans la fête des Pamylies en Égypte, Osiris figurait avec un triple Phallus, pour signifier la multiplication de sa faculté productive. On retrouve encore sur plusieurs monuments antiques, des Phallus doubles ou triples, isolés ou adhérents, à un corps humain. Il en existe en France au pont du Gard et à l’amphithéâtre de Nîmes, qui sont isolés. J’en parlerai bientôt. Une infinité d’autres monuments nous ont conservé de ces Phallus à doubles ou triples branches ; mais ils sont plus rares lorsqu’ils adhèrent à une figure humaine. Dans le royaume de Naples et dans la province de Peucétie, on trouve cependant des pierres gravées qui représentent la figure de Priape, munie d’un double Phallus. Près de lui est un berger qui semble planter en terre un bâton ou le lituus.

Dans la ville de Trani, on a découvert un tableau votif en brique, qui représente Priape avec un triple Phallus.

Voilà comment les anciens représentaient les Diphallus ou Triphallus, et non pas par des doubles ou triples croix, comme l’ont pensé quelques savants

Les vases, les ustensiles, les meubles en général, des anneaux, des sceaux, des médailles, des pierres gravées ithyphalliques reçurent souvent l’empreinte du fascinum ou du Phallus.

Le Phallus, adhérant à une pierre appelée Terme, à un tronc d’arbre façonné ou non en Hermès, recevait, avec le corps dont il faisait partie, chez les Romains, comme chez les Égyptiens et les Grecs, le nom de Priape. Cette idole était représentée avec la tête de Pan, ou des Faunes, c’est-à-dire avec les cornes et les oreilles du bouc. Quand on lui donnait des bras, car il n’en était pas toujours pourvu, Priape tenait d’une main une faux, et quelquefois, de la main gauche, il empoignait, comme Osiris, le trait caractéristique de sa divinité, lequel était toujours colossal et menaçant.

Sa tête était couronnée de pampre ou de laurier, et sa face ombragée d’une épaisse barbe.

Ainsi que l’idole d’Osiris que les Égyptiens portaient en procession pendant les solennités des Pamylies, celle de Priape était ordinairement en bois de figuier ; on en voyait aussi beaucoup en bois de saule. Quelquefois, ce dieu n’était qu’un tronc d’arbre dont une branche figurait, par hasard, le signe caractéristique que la main de l’art avait à peine ébauché. Tel est le Priape que Columelle conseille aux cultivateurs de placer au milieu de leurs jardins. « N’ayez point de labyrinthes, point de statues des héros de la Grèce ; mais qu’au milieu du jardin le tronc à peine dégrossi d’un arbre antique, présente et fasse vénérer la divinité ithyphallique ; que cette branche formidable qui la caractérise, épouvante les enfants, et la faux dont elle est armée, les voleurs »

Toutes les figures de Priape n’étaient pas aussi grossières ; on en voyait quelques-unes travaillées avec soin, ainsi que le Terme qui en composait la partie inférieure. Ce que cette figure avait d’humain était entièrement nu et coloré de rouge(25).

Les Priapes ont offert dans leur forme,  un grand nombre de variétés. Les uns étaient représentés en Termes qui n’avaient que la tête humaine et le Phallus ; d’autres avaient la moitié du corps humain, sans bras, ou avec des bras chargés ordinairement des attributs de cette divinité, attributs tous relatifs à l’agriculture. Il est quelques exemples de Priape, représenté sous la figure entière d’un homme ; ils sont rares.

Pour caractériser l’abondance dont on le croyait en partie l’auteur, pour éloigner la stérilité dont il était le préservateur, on figurait souvent Priape portant sous le bras droit une longue corne d’abondance, dont la large ouverture offrait un assemblage de fleurs et de fruits, productions et attributs des jardins, auxquels, surtout chez les Romains, cette divinité présidait spécialement.

Tel est le portrait fidèle de cette divinité, dont, en Italie, on plaçait l’idole tutélaire dans les vignes, dans les vergers et surtout dans les jardins.

Quelquefois cette idole, avec ses attributs, était placée sur les chemins. C’est alors que Priape était confondu avec Mercure et le dieu Terme. Scaliger dit avoir vu un pareil Terme dont le Phallus servait à indiquer le chemin. Cet Hermès phallique se trouvait à Rome dans le palais d’un cardinal.

Le lieu où était placé le Terme, l’addition ou l’absence du Phallus sur ce Terme, en bois ou en pierre, formaient la seule différence qui existe entre les divinités Mercure, Pan, Priape.

Le Phallus, ajouté à une borne itinéraire, devait préserver les voyageurs d’accidents, tout comme le Phallus, ajouté à un tronc d’arbre, devait détourner des champs voisins les accidents nuisibles aux récoltes ; c’était l’opinion constante des anciens, et la cause unique de l’érection d’un si grand nombre d’idoles du dieu Priape.

Ces fêtes étaient nommées Priapées, ainsi que les vers qu’on chantait à sa louange. Elles rappelaient, à certains égards, les Pamylies des Égyptiens et les Phallophories de Grecs. Plusieurs monuments antiques, conservés jusqu’à nos jours, présentent les détails de ces orgies. Parmi ceux que Boissart a fait graver, il se trouve un bas-relief qui offre le tableau de la principale fête de ce dieu. Ce sont des femmes qui y figurent comme ministres de ce culte. L’une d’entre elles arrose le trait caractéristique de Priape, tandis que d’autres apportent pour offrandes des paniers pleins de fruits et des vases remplis de vin. Là sont des groupes de danseuses et de musiciennes, parmi lesquelles on en distingue une qui agite le siste égyptien. Ici est une bacchante, portant un enfant sur ses épaules. Plus loin, quatre prêtresses sont occupées à sacrifier un âne, victime consacrée à Priape.

On offrait à ce Dieu, outre du miel et du lait, des branches de myrte, symbole des amours fortunées. Les habitants des campagnes couvraient sa tête de roses au printemps, d’épis de blé en été, de pampre en automne et de branches d’olivier en hiver.

Dans les villes, Priape avait des chapelles publiques, où les dévots, affligés de certaines maladies qui rentraient dans ses attributions, venaient appendre des ex-voto, images naïves de la partie malade. Ces ex-voto étaient des tableaux peints ou des figures en cire, en bois et quelquefois en marbre.

On voyait des femmes, aussi dévotes que lubriques, offrir publiquement à Priape autant de couronnes que de sacrifices leurs amants avaient fait à leurs charmes. Elles les appendaient à l’énorme Phallus de cette idole, et cette partie saillante en était quelquefois totalement garnie.

C’est ainsi que l’épouse de l’empereur Claude, cette Messaline fameuse par sa lubricité extrême, et bien digne, sous ce rapport, de figurer à côté du trône des Césars, après être sortie victorieuse de quatorze athlètes vigoureux, se fit déclarer invincible, en prit le surnom, et, en mémoire de ces quatorze succès, fit au dieu Priape l’offrande de quatorze couronnes.

D’autres faisaient hommage à ce dieu d’autant de Phallus en bois de saule qu’elles avaient vaincu d’hommes dans une nuit.

Les différents traits que je viens de réunir prouvent que, chez les Romains, le culte de Priape avait beaucoup dégénéré ; que ces peuples avaient perdu de vue l’objet signifié, pour ne s’attacher qu’au signe, pour n’y voir que ce qu’il y avait d’indécent. Ainsi, par cet oubli du principe, la religion devint le prétexte du libertinage.

Le Phallus n’était plus cet objet sacré de la vénération des peuples de l’Orient, ce symbole adoré du soleil, régénérateur de la nature entière, ce dieu sauveur du monde, dont la présence assurait la conservation, et la propagation de tous les êtres vivants ou végétants. On l’invoquait, à la vérité, pour écarter les charmes contraires à la fécondité des femmes ; mais, dans cette circonstance, bien loin d’être considéré comme un dieu-soleil, il n’était employé que comme un talisman. Il présidait aux plaisirs légitimes du mariage, mais encore plus aux excès de la débauche. Si l’on voyait quelques époux parmi ses adorateurs, leur plus grand nombre était des libertins et des prostituées.

On plaçait encore son idole dans les vignes, les vergers, les jardins ; mais il n’y figurait plus comme l’emblème du soleil fécondant la terre au printemps, et donnant une nouvelle vie à toutes les plantes. Il n’était que le vil gardien d’un verger ou d’un jardin, un épouvantail placé pour éloigner les voleurs superstitieux, les enfants et les oiseaux.

Telles furent, du temps des empereurs romains, les seules fonctions du Phallus, et les attributions restreintes et humiliantes de Priape.

Respecté, pendant que les mœurs romaines conservaient encore leur simplicité antique, dégradé, avili, en raison des progrès de leur corruption, Priape devint enfin un objet de ridicule ; il fut le plastron des plaisanteries, des sarcasmes de tous les écrivains. Horace ne pouvait plus ingénieusement ravaler cette divinité, qu’il le fait par les premiers vers d’une de ses satires. « J’étais un tronc de figuier, bois fort inutile, lorsqu’un ouvrier, incertain s’il en ferait un banc ou un Priape, se décida enfin, et au lieu d’être un banc, je fus un dieu. « On l’insultait jusque dans son sanctuaire, dont les murs offraient souvent des inscriptions très peu respectueuses pour la divinité, et des vers qui excitaient à ses dépens le rire des lecteurs

Les écrivains du christianisme vinrent ensuite ajouter leurs déclamations aux insultes des poètes latins, accumulèrent le ridicule et le mépris sur cette divinité déjà vaincue, saisirent avec transport cette place abandonnée par les partisans de l’ancienne religion des Romains, et obtinrent une victoire facile. Le culte de Priape allait être anéanti sans retour, ses idoles et ses autels renversés pour jamais, si la superstition et le génie de l’habitude, la plus indestructible de toutes les affections humaines, ne fussent venues à son secours.

 

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