L'art  17

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Les métaphores et autres métonymies

 

 

SOMMEIL :

 RÉCOMPENSE DU JUSTE et DE L'INNOCENT

« Le sommeil du laborieux est doux » (Bible, Eccl., IIIe )

« Le laboureur, qui a bien travaillé sans chagrin, et bien mangé sans excès, dort d’un sommeil plein et tranquille que les rêves ne troublent point » (Voltaire, 18e)

« N’est-ce pas qu’il est pur le sommeil de l’enfance ? » (Musset, 19e)

« Il s’endormit du sommeil des mauvais sujets, lequel […] se trouve être aussi profond que celui de l’innocence » (Balzac, La Fille aux yeux d’or, 19e )

« En attendant, sur mes genoux / Ange aux yeux bleus / Endormez-vous » (Nettement, 19e)

Ces extraits rappellent les expressions « dormir du sommeil du juste » ou « dormir comme un bébé ». Le travailleur, l’innocent, dont l’enfant est le prototype, peuvent jouir d’un sommeil mérité. Inversement, le sommeil est troublé par les soucis financiers (La Fontaine), par le sentiment de culpabilité (Du Bellay), ou encore par l’amour, état troublant par excellence (Molière) 

 NOURRITURE

« Le sommeil nourrit celui qui n’a pas de quoi manger », (Ménandre, IVe a.c. )

« Pour moi, je ne dors plus; aussi je deviens maigre » (Racine, Les Plaideurs, 17e)

La première de ces citations est un équivalent antique du plus moderne « Qui dort dîne ». L’idée que le sommeil est un aliment apparaît aussi dans l’expression « goûter » un sommeil mérité ou apaisant, idée qu'on retrouve à plusieurs reprises. Cependant, de façon surprenante, la métaphore de loin la plus fréquente dans les citations relevées exprime que le sommeil s’apparente à la mort :

MORT

« Le sommeil est le frère jumeau de la mort » (Homère, IXe a.c. )

« L’homme [garde] en sa pensée […] / qu’il fit la nuit passée / un essai de la mort » (Pierre de Marbeuf, 17e ).

« Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort » (Nerval, Amélia, 19e).

« Sommeil, fils de la nuit et frère de la mort » (Gauthier, 19e)

« Je n’aime pas dormir […] / car je pense à la mort / laquelle vient si vite / nous endormir beaucoup » (Cocteau, 1923 ).

MORT et SOULAGEMENT

« Viens, sommeil […] abuser mon mal de quelque doux mensonge » (Pontus de Tyard)

« A grand tort Virgile nomme / Frère de la mort, le somme / Qui charme tous nos ennuis / Et la paresse de nos nuits » (Ronsard, 16e)

« Le sommeil dévore l’existence, c’est ce qu’il y a de bon » (Châteaubriand, 19e)

« Ne pas mourir, ne pas dormir. Voilà mon sort » (Hugo, Hors de la terre)

« Hélas […] laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre ! » (Vigny, Moïse, 19eme)

« Vivre est une maladie dont le sommeil nous soulage toutes les seize heures. C’est un palliatif. La mort est le remède » (Chamfort, 18e ).

Le sommeil soulage de la souffrance, et de ne pas pouvoir en disposer c’est être contraint d’affronter cette souffrance. Ce soulagement est bénéfique. Mais ce soulagement est aussi mensonger, puisqu’il ne guérit pas définitivement des souffrances de la vie. La mort, qui partage avec le sommeil cette fonction de soulagement, est la guérison définitive.

 

MORBIDITÉ, MALADIE ..........  CHOSE RÉPUGNANTE

« L’excès de sommeil fatigue » (Homère, IXe a.c. )

« Ne rien avoir, ne rien enseigner, ne rien vouloir, dormir, et encore dormir, tel est aujourd’hui mon unique vœu. Vœu infâme et dégoûtant, mais sincère » (Baudelaire, projet de préface pour Les Fleurs du mal

AMORALITÉ, PARESSE

« A renard endormi ne vient ni bien ni profit » (dicton )

« Quand le vassal dort, le maître veille » (dicton )

« Les grands mangeurs et les grands dormeurs sont incapables de quelque chose de grand » (Henri IV, 16e )

Pour une chose, l’abus de sommeil entraîne l’absence de réussite. Par ailleurs, trop dormir à quelque chose d’amoral (dans le même projet de préface où il avoue son « vœu infâme et dégoûtant », Baudelaire écrit aussi : « Il ne me déplairait pas de passer pour un débauché, un ivrogne, un impie et un assassin »).

Quelles sont donc les relations entre les notions de récompense, de soulagement, de mort, d’absence de réussite et d’amoralité, et surtout, comment le sommeil peut-il les appeler toutes ? Une phrase de Mallarmé nous éclaire :

« Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songe / […] / Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges / Toi qui sur le néant en sait plus que les morts » (Mallarmé, Poésie, « Angoisse » 

On trouve ici regroupés dans une même phrase pratiquement tous les thèmes précédents. Dans cette phrase, le sommeil est récompense (« goûter ») et soulagement espéré (« je demande »). Le sommeil y est aussi rapproché de la mort : en effet, celui-ci partage avec la mort une propriété bien particulière : le « néant » (celui qui dort, comme les morts, rencontre le néant). C’est d’ailleurs ce qui lui confère sa propriété soulageante (néant impliquant absence de souffrance).

On retrouve ces notions, sous une forme à peine différente, chez Baudelaire :

« Je jalouse le sort des plus vils animaux / Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide / Tant l’écheveau du temps lentement se dévide » (Baudelaire, Les Fleurs du mal, 19e)

Ici le sommeil a les caractéristiques suivantes :

       il est soulagement attendu (il soulage de la souffrance et de l’ennui).

  Il partage cette proprité de soulagement avec la mort : en effet, c’est la mort qui attend le poête quand « l’écheveau du temps » se sera « dévidé ».

 Il est stupide = sans pensée, vide d’intelligence ;  c’est ce vide qui le rapproche du néant. C’est encore une fois ce qui lui confère sa propriété soulageante (absence de pensée impliquant absence de souffrance).

 Il rapproche l’être humain « des plus vils animaux ». On retrouve ici l’idée que le sommeil est avilissant ou amoral.

Ainsi, le sommeil présente, dans la langue classique et littéraire, un aspect positif et un aspect négatif. Néanmoins, il n’y a pas de contradiction directe entre ces deux aspects. Ils constituent simplement les deux pôles d’un réseau d’implications. Ce réseau peut être décrit, au moins partiellement, de la façon suivante :

 

 SOMMEIL : PERTE DE CONSCIENCE, CHUTE, PERTE DE CONTRÔLE

« S’écrouler de sommeil »

« Tomber de sommeil »

Le sommeil est une perte de conscience qui nous fait tomber à terre. La notion de « tomber » est aussi associée à une fatalité, à une perte de contrôle (cf. « tomber malade » ; « tomber amoureux »).

POIDS

« Un sommeil lourd / de plomb »

« Être écrasé de sommeil »

« En écraser » (= dormir)

 Chute et poids participent de la même idée que le sommeil nous empêche de conserver la position debout et nous plaque à terre.

ENNEMI QUI TERRASSE

« Lutter / se battre contre le sommeil »

« Accablé / terrassé / abattu / vaincu par le sommeil »

« gagné par le sommeil »

Le sommeil est un ennemi, mais ce n’est pas un ennemi qu’on affronte face à face et contre lequel on peut se défendre en le repoussant. C’est un ennemi contre lequel on « se bat » mais qui finit toujours par « vaincre », par « terrasser ». C’est un ennemi, qui, à terme, est invincible (comme la mort). C’est, de plus, un ennemi qui n’accule pas mais qui tire (ou pousse) vers le bas.

La lutte étant perdue d’avance, il arrive toujours un moment où on peut y renoncer :

« S’abandonner au sommeil »

« Se laisser aller au sommeil »

 

LIQUIDE, GEL

« Être plongé dans un profond sommeil »

« Sombrer dans / s’enfoncer dans le sommeil »

« Glisser dans le sommeil »

« Du fond / au plus profond de son sommeil »

« En plein sommeil »

« Tirer quelqu’un du sommeil »

« Emerger » (= se réveiller)

« Troubler le sommeil »

  « Pris / saisi par le sommeil »

« Briser / rompre le sommeil »

 C’est parfois encore une substance paralysante qui peut gagner le corps de l’intérieur :

« Être envahi par le sommeil »

« Le sommeil me gagne»  (= m’incorpore / s’incorpore en moi).

 

INACTIVITÉ, INCOMPÉTENCE

« Ne faire que dormir »

« Dormir sur / s’endormir sur son travail / ses lauriers »

« Ce n’est pas le moment de dormir »

 

RESSOURCE (QU'IL FAUT GÉRER)

« Jouir de son sommeil »

« Être privé de sommeil »

« Gérer / organiser son sommeil »

« Tirer sur son sommeil »

« Prendre quelques heures de sommeil »

« Prendre du sommeil d’avance »

« Accumuler du sommeil en retard »

« Gaspiller / épuiser son (crédit) sommeil »

« Être short en sommeil »

« Avoir une dette de sommeil »

« Jouer avec son sommeil »

Le sommeil est une ressource dont on peut jouir ou être privé. Il partage d’ailleurs certaines des caractéristiques de la ressource par excellence, l’argent. On peut le gérer, le gaspiller, l’épuiser. Par ailleurs, les expressions métaphoriques dans laquelle l’argent est un « objet caché »  s’appliquent aussi au sommeil :

« Chercher fortune »                                       « Chercher le sommeil »

« Trouver la fortune »                                      « Trouver le sommeil »

« Perdre sa fortune »                                      « Perdre le sommeil »

« Rendre sa fortune »                                    « Rendre le sommeil"

 

INTERVALLE DE TEMPS

« Prolonger / interrompre son sommeil »

« Raccourcir / Écourter son temps de sommeil »

ALIMENT RÉGÉNÉRATEUR

« Goûter un sommeil réparateur »

« Un bon sommeil / un sommeil sain »

« Un mauvais sommeil / un sommeil troublé / fiévreux »

« Bien dormir / mal dormir »

« Profiter de son sommeil »

 

COMBUSTIBLE, CARBURANT

« Si je ne dors pas, je ne tiens pas debout / je n’avance pas / je suis bon à rien »

« Avoir besoin de dix heures de sommeil par nuit » (Le Robert, 1967)

La métaphore industrielle est également présente dans :

« Un sommeil productif ».

 

OBJET PÉRISSABLE

« Briser / perturber / troubler le sommeil »

« Avoir le sommeil léger / fragile » (= qui peut être facilement perturbé)

« Enlever / retirer / perdre le sommeil »

 

BIENFAITEUR

« Le sommeil arrive / vient »

« Attendre / guetter le sommeil »

 

PLAISIR, RÉCOMPENSE

« Jouir d’un / Goûter un sommeil mérité »

« Dormir du sommeil du juste »

« Dormir comme un enfant / un bébé / un ange / un bienheureux »

« S’abandonner au sommeil »

« Sombrer dans les bras de Morphée »  

 

 

Le sommeil, les rêves et l'éveil

pour en savoir plus scientifiquement parlant

 

 

 

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