L'art  19

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Litterature érotique

L'orage de Régine Deforges

 

04 Avril 97 - CULTURE

Entretien

Le Zèle

du désir

En même temps que 'la Dernière Colline' où l'on retrouve les héros de 'la Bicyclette bleue', Régine Deforges renoue avec la littérature érotique et nous donne 'l'Orage'. Un livre cru et fort qui parle d'amour fou.

'L'Orage' est, sinon un hommage, au moins un clin d'œil à Georges Bataille. Vos héros, Marie et Édouard, portent les prénoms de ceux de son livre 'le Mort'. La situation de départ, le veuvage douloureux d'une jeune femme, est identique...

'Le Mort' est un texte qui m'avait secouée par sa concision admirable. J'ai relu récemment l'œuvre érotique de Bataille. Il y a dans cet érotisme-là quelque chose de naïf, d'appliqué, de trop systématique. Ce qui m'horripile, c'est ce goût enfantin du blasphème et cette idée que, sans transgression, il n'y aurait pas d'érotisme. Pour moi, l'érotisme, c'est la vie. Lorsque j'ai écrit 'l'Orage', je me suis posé cette question: que provoque au juste la mort d'un être aimé, charnellement aimé? J'ai répondu d'une certaine manière. Je suis surprise du succès du livre. Ce sont les femmes qui en parlent d'une façon qui me touche. Elles sont souvent bouleversées par cet excès amoureux de la passion de Marie pour Édouard. Elles le reconnaissent. Les hommes ont tendance à ne retenir que les scènes torrides, par fragments.

 

Pensez-vous que la société actuelle soit si ouverte que l'érotisme y perde son pouvoir de subversion?

Je pense que la littérature doit être dérangeante, dans une période qui offre peu de bouleversements émotionnels. J'ai écrit 'l'Orage' de façon très tendue. J'étais dans une totale compréhension de Marie, aux plans sexuel et affectif. On n'est jamais innocent quand on écrit, quand on se laisse envahir par ce désir. J'ai écrit dans une grande joie, ce dont je me méfie d'ordinaire. Ce livre fait partie des preuves que je me suis données à moi-même.

 

Votre récit pourrait-il constituer une sorte de versant féminin du 'Mort'?

Ce qui me surprend, chez l'héroïne de Bataille, c'est son humiliation. La mienne est triomphante. Il n'y a pas cette notion d'abjection. Je ne pense pas qu'existe une écriture masculine ou féminine, sauf peut-être en matière d'érotisme. La sexualité des hommes et des femmes est radicalement différente. Pendant des siècles, les femmes n'ont pas eu 'les mots pour le dire'. Au début du siècle, Rachilde, qui avait dix-huit ans, a écrit 'Monsieur Vénus'. C'est très audacieux mais très métaphorique. Je suis frappée aujourd'hui par les jeunes femmes qui écrivent 'naturellement' ce type de littérature. Les femmes se prennent beaucoup moins au sérieux que les hommes. Ces femmes écrivains ont une bonne santé réjouissante. J'ai écrit très peu de littérature érotique, mais j'en ai publié beaucoup.

 

Qu'est-ce qui vous y a poussé?

Au départ, j'avais simplement un goût certain pour ce genre littéraire. J'avais lu tout ce qui était publié en français, en anglais ou en allemand. J'ai monté ma première maison d'édition parce qu'on ne trouvait pas ces ouvrages en librairie. C'était sale et clandestin. J'ai publié 'le Con d'Irène' d'Aragon le 22 mars 1968, date emblématique. Deux jours après, le livre était saisi et j'étais embarquée par la Brigade mondaine. Un inspecteur m'a alors prédit deux ans d'enfer si je poursuivais dans cette voie. Tout s'est réalisé, les saisies, les amendes, les menaces d'emprisonnement, l'endettement... C'est drôle, le chemin parcouru jusqu'à 'l'Orage'. Personne aujourd'hui n'oserait s'avouer choqué. J'avais, bien sûr, un désir de provocation mais pas seulement. Je plaide aussi pour l'acceptation d'un certain mode de pensée lié à la littérature érotique. Personne ne peut prétendre avoir réglé ses problèmes avec son propre corps, sans parler de celui des autres. On n'explique toujours pas la sexualité. Face à un texte érotique, on se raconte une histoire, on crée des images, on installe peut-être moins de chicanes devant ses émotions.

Je crois que les politiciens craignent l'écrit. Ils s'accommodent éventuellement de la presse, en raison de son caractère éphémère. Mais les livres restent toujours quelque part. On m'a déjà expédié des notifications de destruction de mes livres par le feu, dans certains pays où ils ont été traduits. Cela provoque pour le moins un malaise...

 

Propos recueillis par

DOMINIQUE WIDEMANN ( l'Humanité 97 )

 

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